Raison d’être : 1er bilan et propositions…

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La raison d’être redynamise la stratégie RSE des entreprises et la fait passer à un niveau supérieur. Son approche « par le haut », par le « pourquoi », par la définition de leur utilité sociétale, oblige les entreprises à une introspection salutaire, à revisiter leurs engagements. Mais les premières raisons d’être sont un peu décevantes, pas suffisamment aspirationnelles et leurs déclinaisons opérationnelles ressemblent à une continuation – même si elle est amplifiée et accélérée – de la stratégie de RSE l’entreprise. Ces raisons d’être, écrites pour durer 20 ou 30 ans, ne sont pas vraiment disruptives. Or, le monde dans 20/30 ans, la place qu’y occupera l’entreprise, sa forme même, seront, à n’en pas douter, très différents d’aujourd’hui.

À l’origine…

Le rapport que tout le monde appelle désormais « Notat/Sénard », du nom de ses 2 auteurs, remis dans le cadre de la préparation de la loi PACTE, portait en fait un  titre assez révolutionnaire : « L’entreprise objet d’intérêt collectif »

Il faisait 3 constats :

  • le court-termisme et la financiarisation pèsent sur la vie de l’entreprise ;
  • Les entreprises considèrent déjà leurs enjeux sociaux et environnementaux ;
  • L’image de l’entreprise est dépréciée par rapport à ce qu’elle pourrait être.

Et surtout, il portait une conviction : l’entreprise a une raison d’être et contribue à un intérêt collectif.

Une raison d’être dont il donnait une première définition : « la raison d’être exprime ce qui est indispensable pour remplir l’objet de la société. Cet « objet social » étant devenu un inventaire technique, il est nécessaire de ramasser en une formule ce qui donne du sens, à l’objet collectif qu’est l’entreprise. C’est un guide pour déterminer les orientations stratégiques de l’entreprise et les actions qui en découlent… ».

Les premières raisons d’être : des formulations plutôt décevantes !

Globalement, la formulation finale des raisons d’être rappelle quelquefois le style « onusien », avec un vocabulaire un peu stéréotypé, politiquement correct, revu par des juristes, avec des formules convenues (pour tous, au plus grand nombre, l’humanité, le monde, durable…), des formulations trop générales pas assez spécifiques (qui pourraient s’adapter à n’importe quelle entreprise, ou à toutes les entreprises d’un secteur), voire de type messianiques donnant l’impression que l’entreprise veut sauver le monde… Certains y voient déjà un soupçon de « purpose washing » et surtout une volonté de se démarquer plutôt qu’une volonté de changer.

Pourquoi ?

Définir la raison d’être est un chantier très difficile, car totalement transversal, nécessitant bien sûr une forte implication des décideurs.  Et ce chantier est également source de remises en cause qui peuvent être fondamentales…

1/ Des difficultés méthodologiques… Trop d’info tue-t-elle l’info ? Histoire de l’entreprise, de ses fondateurs, étude des enjeux sociétaux présents et à venir, interviews du CA, du Comex, avis des salariés et de leurs organisations syndicales, des parties-prenantes externes… tout ce travail nécessaire, ramène une masse d’informations qui peuvent être divergentes, sinon contradictoires. Leur synthèse en quelques phrases est un exercice difficile, voire presque « mission impossible » (cf. le Grand débat national dont on attend toujours des conclusions !)

2/ La difficulté d’aller chercher une parole non convenue, de mener l’introspection. Chacun sait combien un travail d’introspection personnel peut demander de temps, d’aller-retour, d’errance, avant qu’une parole « vraie » ne puisse surgir. Définir la raison d’être d’une organisation s’apparente à un véritable travail introspectif qui nécessite des mois, voire pour certains, des années… En particulier dans les grands groupes, c’est une sorte de « 360° » à plusieurs centaines de milliers de personnes dont la connaissance de l’entreprise est nécessairement parcellaire ! Des outils comme le Design thinking, des méthodes d’intelligence collective, des outils de coaching comme la singularité sont nécessaires. Il s’agit de mettre en place une véritable maïeutique pour aller au-delà des évidences, des truismes… Un chemin qui peut passer par un moment difficile d’aporie où l’on ne voit plus d’issue, de chemin, avant de dépasser les contradictions.

Pour des raisons d’être inspirantes, disruptives et dans l’action concrète

À partir de cette première analyse critique que nous avons réalisée chez Modale Conseil, ainsi que des échanges avec notre partenaire, David Garbous, qui a eu la chance de mettre en œuvre une raison d’être inspirante chez Fleury Michon (« Aider les Hommes à mieux manger tous les jours »), nous proposons quelques pistes pour que la raison d’être soit vraiment l’occasion d’une redéfinition complète de l’entreprise.

 Nous proposons d’abord que sa formulation :

1/ soit plus simple, concise, dans une posture d’humilité (pas vouloir sauver le monde ou plutôt le sauver à sa mesure), proche de l’activité de l’entreprise ;

2/ dise la responsabilité mais aussi la singularité de l’entreprise ;

3/ soit aspirationnelle, proportionnée à l’activité de l’entreprise, à son périmètre, à ses impacts, tout en étant suffisamment engageante pour changer concrètement l’offre de l’entreprise – car ce sont ses produits ou ses services qui doivent incarner sa raison d’être – mais aussi suffisamment engageante pour (re)donner du sens à l’ensemble des collaborateurs.

Ce côté inspirant est illustré par le consultant/essayiste/speaker, Simon Sinek dans son livre « Start with why », avec  ce qu’il a appelé les « cercles d’or » qui se composent de trois cercles concentriques :

  • le pourquoi au centre (la raison d’être/mission/cause/croyance d’une entreprise),
  • suivi du comment (la singularité d’une entreprise, comment elle se distingue de la concurrence, son éthique, sa culture, ses avantages concurrentiels)
  • et du quoi (ses activités, produits et services)

Selon Simon Sinek : « Les gens n’achètent pas ce que vous faites, ils achètent ce pourquoi vous le faites ». Il explique ainsi la réussite commerciale d’Apple par son « pourquoi », transformé en slogan « Think different » qui met l’accent sur sa philosophie, sa manière d’être. C’est ce qui crée l’adhésion des clients d’Apple. Le comment (le design, la convivialité, la simplicité d’utilisation…) ne vient qu’après dans la décision d’achat. Enfin, Apple traduit tout cela dans le savoir-faire technologique de ses produits : ordinateurs, smartphones, tablettes…

Mais la raison d’être doit être aussi (et peut-être d’abord ?) engageante pour les salariés, pour que chacun sache « pourquoi il se lève le matin ? ». Pour rester dans l’exemple donné par Simon Sinek, voici comment Apple s’adresse à ses futurs collaborateurs : « Les employés Apple ne font pas que créer des produits. Ils créent desmerveilles quirévolutionnent des secteurs entiers. C’est la diversité de ces employés et de leurs idées qui est à l’origine de l’innovation présente dans tout ce que nous entreprenons, de notre incroyable technologie à nos initiatives environnementales de référence. Rejoignez Apple et aidez-nous àrendre le monde meilleur ».

Créer un livret de la raison d’être, mode d’emploi de son implémentation

À côté de la formulation en quelques phrases, MODALE Conseil propose de créer un « livret de la raison d’être » formalisant les principaux éléments qui ont amené à cette formule : histoire, enjeux sociétaux, position des syndicats, des parties prenantes (y compris les plus critiques), verbatims de salariés, etc… C’est le mode d’emploi, le guide opérationnel de transformation, collé au plan stratégique, pour que chacun se sente investi et dépositaire de la mise en œuvre, quel que soit son métier, quel que soit le site de production… Les bonnes idées ne peuvent pas venir du seul dirigeant ou même du Comité de Direction : compte tenu de la complexité des enjeux, un seul cerveau, aussi brillant soit-il ne suffit pas. Il faut mobiliser toutes les intelligences, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise.

Trouver ses « pépites » et s’ouvrir aux partenariats

Il est évident que si la raison d’être est un outil de redéfinition complète de l’entreprise, son implémentation ne peut être que progressive…Comme l’a défini le rapport Notat/Sénard : « c’est un guide pour déterminer les orientations stratégiques de l’entreprise et les actions qui en découlent… ». Mais la mise en œuvre doit rester pragmatique, s’appuyer sur des expérimentations ciblées qui permettront de tirer des enseignements pour une généralisation, mais aussi et surtout dont la performance, à la fois sociétale et économique, sera une preuve convaincante en interne pour aller plus loin. Dans chaque entreprise, en particulier dans les grands groupes, il existe ainsi des produits ou services, des gammes de produits ou services, représentant une partie relativement peu importante du business global, mais qui ont un potentiel à devenir une sorte de démonstrateur d’un nouveau modèle économique à la fois disruptif et performant, répondant complètement à « l’intérêt collectif ». Il faut identifier ces « pépites » et mettre en œuvre une stratégie pour les développer.

C’est aussi l’occasion de monter de nouvelles collaborations, en filière, en s’obligeant à penser les conséquences de chacun de ses choix avec l’amont et avec l’aval. C’est à ce prix que se font les grandes transformations. Quitte à initier des partenariats innovants avec des concurrents : un sujet comme le plastique, par exemple, ne peut pas être résolu par une seule organisation, c’est tout l’écosystème qui doit se mettre en mouvement, chacun devant apporter ses propositions.

Raison d’être et nouveaux modèles : pour des approches plus radicales

La raison d’être doit donc fournir l’opportunité d’une redéfinition de sa stratégie et de son périmètre d’activité qui remet en question ses savoir-faire industriels commerciaux à l’aune des défis sociaux et environnementaux contemporains et à venir. C’est le moment pour l’entreprise d’affronter les vrais dilemmes, à l’instar de Novo Nordisk, laboratoire spécialisé sur le diabète, qui en avait fait l’axe principal d’un de ses anciens rapports RSE, en posant 7 questions, comme par exemple : «  comment continuer à accroître notre production et notre utilisation de ressources naturelles et contribuer quand même à un développement durable ? »… avec un stakeholder concerné invité à donner son avis !

Car, dans le contexte actuel post-Covid, ce sont des secteurs entiers dont le modèle est remis en cause : le transport aérien, l’automobile, la santé, l’agro-alimentaire, la mode…  Or leurs réponses sont essentiellement techniques et comportementales : technologies plus propres, relocalisation, compensation, éco-conception, économie circulaire… Mais pas de remise en cause véritable de leur modèle. Est-ce que la responsabilité du transport aérien est « seulement » de construire des avions moins polluants et de compenser ses émissions ? Est-ce que l’avenir de l’automobile est seulement au « tout électrique made in France », alors que les jeunes générations, surtout urbaines, ont un rapport très différent à ce mode de mobilité et ne veulent plus être propriétaires d’un véhicule, privilégiant la location ? Est-ce que la fast fashion serait durable même si elle récupérait tous les vieux vêtements pour les recycler ?
L’évidence qui s’impose à nous après cette pandémie et ses conséquences économiques, c’est que l’on ne construira pas un avenir durable avec les modèles anciens, même « compensés » par des approches RSE que l’on pourrait qualifier de 1.0, c’est à dire défensives, réparatrices (essayer de faire moins mal). Les entreprises doivent être beaucoup plus radicales et pouvoir innover afin de proposer des modèles qui correspondent aux défis sociétaux à venir ainsi qu’aux aspirations, au nouvel imaginaire des citoyens/consommateurs. La définition de leur raison d’être est la meilleure voie pour le faire.

Alors, on commence quand ?

Alain Chauveau, Directeur associé, en charge du planning stratégique

www.modale-conseil.com

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